C’est pour ton bien, Alice Miller

Temps de lecture de mon article : 5 minutes. Temps de lecture du texte originel : 4h minimum. Je vous fais gagner environ 3h55 de votre vie.

L’éducation ou la persécution du vivant

Miller commence par citer des extraits de livres de pédagogie du XVIIe et du XVIIIe siècles. Elle a choisi des passages particuliers qui illustrent que ces manuels encouragent explicitement les violences physiques et psychologiques sur les enfants ; et un grand nombre de ces textes insistent sur le fait que l’éducation des enfants doit se faire dès le plus jeune âge. Ils n’hésitent pas à prôner les châtiments corporels et les privations de nourriture et d’affection chez le nourrisson.

Miller nomme ces méthodes d’éducation la « pédagogie noire ». Elle avance que les enfants qui ont été élevé dans ces conditions ont souvent des problèmes psychologiques à l’âge adulte et qu’il n’est pas du tout anodin de frapper, humilier ou priver de soins un enfant, même « occasionnellement ». Pour l’autrice, les personnes qui n’auraient connu qu’un environnement nocif de ce type pendant leur enfance seront, à l’âge adulte, en état de « mort psychique », c’est-à-dire que la psyché originelle de l’enfant sera complètement annihilée.

Elle fait d’ailleurs le rapprochement entre les méthodes d’éducation de la pédagogie noire et la répression des régimes totalitaires (et particulièrement les régimes fascistes). Elle remarque d’ailleurs qu’un enfant éduqué avec ces méthodes aura beaucoup de mal à l’âge adulte à se rendre compte qu’il est manipulé ; en outre il n’aura « aucun scrupule à participer au système répressif » d’un régime totalitaire. Son hypothèse est que les atrocités commises sous le Troisième Reich ont été permises non par des « monstres » ou des fous isolés, mais par une multitude de gens qui avaient été éduqué de façon stricte ; non seulement ces personnes acceptaient le système répressif de l’Allemagne nazie — réminiscence de l’autorité parentale implacable — mais elles cherchaient aussi à reproduire envers les juifs les violences qu’elles avaient subies étant jeunes.

D’autre part, une personne maltraitée dans son enfance aura tendance à reproduire les mêmes schémas avec ses propres enfants, ce qui engendre un cercle vicieux inarrêtable.

Selon Miller, la pédagogie noire repose sur les principes erronés suivants :

  1. le sentiment du devoir engendre l’amour ;
  2. on peut tuer la haine par des interdits ;
  3. les parents méritent a priori le respect en tant que parents ;
  4. les enfants ne méritent a priori aucun respect ;
  5. l’obéissance rend fort ;
  6. un sentiment élevé de sa propre valeur est nuisible ;
  7. un faible sentiment de sa propre valeur conduit à l’amour de ses semblables ;
  8. les marques de tendresse sont nocives (mièvrerie) ;
  9. il ne faut pas céder aux besoins de l’enfant :
  10. la dureté et la froideur sont une bonne préparation à l’existence ;
  11. une reconnaissance simulée vaut mieux qu’une sincère absence de reconnaissance ;
  12. l’apparence est plus importante que l’être ;
  13. les parents ni Dieu ne pourraient supporter la moindre injure ;
  14. le corps est quelque chose de sale et de dégoûtant ;
  15. la vivacité des sentiments est nuisible ;
  16. les parents sont des êtres dénués de pulsions et exempts de toute culpabilité ;
  17. les parents ont toujours raison.

Après avoir décrit longuement les méthodes d’éducation violentes, elle s’interroge sur l’existence d’une « pédagogie blanche » qui ne serait pas néfaste au développement personnel de l’enfant. Toutefois, selon Miller, toute forme d’éducation est une violence faite à l’enfant car elle l’empêche de vivre ses émotions et d’exprimer ses besoins. Même un adulte bien intentionné qui chercherait à orienter l’enfant vers tel ou tel comportement sans le forcer mais en le manipulant ne sert pas les intérêts de l’enfant. Au contraire, la pédagogie sert les intérêts de l’adulte, son envie d’humilier, de posséder un être vivant et son besoin de vengeance pour les souffrances qu’il a lui-même endurées pendant l’enfance.

Miller énumère à l’inverse les besoins d’un enfant :

Il a besoin, pour son développement, de respect de la part de sa personne de référence, de tolérance pour ses sentiments, de sensibilité à ses besoins et à ses susceptibilités, du caractère authentique de la personnalité de ses parents, dont c’est la propre liberté — et non des considérations éducatives — qui impose des limites naturelles à l’enfant.

En conclusion, la pédagogie n’est pas quelque chose que l’on utilise pour le bien de l’enfant, mais plutôt un moyen pour l’adulte d’exercer son pouvoir sur l’enfant et une justification de cet exercice de pouvoir.

 

Le dernier acte du drame muet : le monde reste épouvanté

Trois chapitres sont consacrés à trois études de cas : Christiane F., jeune fille toxicomane ; Adolf Hitler ; et Jürgen Batsch, qui assassina quatre petits garçons. L’autrice montre que chacune de ces trois personnes a subi des maltraitances dans son enfance, elles ont été battues et humiliées par un de leurs parents et n’ont jamais eu d’adulte « de référence » à qui se confier. Ces enfants ont intériorisé la violence et expriment leur mal-être dans l’auto-destruction ou la destruction des autres.

Grâce à ces exemples, Miller avance que l’agressivité, la violence, et jusqu’aux guerres et aux génocides, sont évitables si l’on commence à élever les enfants sans chercher à les éduquer et à étouffer leur psyché.

[…] le fonctionnaire qui ouvre le robinet de gaz pour asphyxier des enfants, et même celui qui a inventé ce dispositif, sont des êtres humains et ont été des enfants. Tant que l’opinion publique ne veut pas comprendre que d’innombrables meurtres psychiques sont perpétrés tous les jours sur des enfants, et que la société doit en subir les conséquences, nous allons à tâtons dans un labyrinthe obscur — malgré toutes les bonnes intentions de désarmement.

On pourrait résumer cette idée ainsi : la paix dans le monde passe par le respect de nos enfants.

 

Angoisse, colère et deuil, mais pas de sentiments de culpabilité…

Après avoir longuement décrit ce qu’il ne faut pas faire avec ses enfants, la dernière partie du livre donne des pistes de ce que l’on peut faire, soit pour éviter la maltraitance, soit pour « réparer » une situation de maltraitance dans le passé.

Miller insiste sur le fait qu’en tant que parents il ne faut surtout pas conserver un sentiment de culpabilité, qui empêche de faire le deuil de ce qu’il s’est passé.

[…] le deuil est la douleur de savoir que les choses se sont passées comme elles se sont passées et que rien ne peut modifier le passé. Cette douleur, on peut la partager avec les enfants, sans avoir besoin d’en avoir honte, tandis que les sentiments de culpabilité, on essaie de les refouler ou de les faire supporter aux enfants, on encore les deux à la fois.

Il vaut mieux parvenir à adresser des reproches à ses parents et à accepter les reproches de ses enfants. Cependant, l’autrice explique que son livre n’a pas pour but d’accuser les parents de tous les maux (ni d’accuser les enfants, comme le fait la psychanalyse traditionnelle en attribuant tout un tas de pulsions au tout-petit) ; elle souhaite seulement permettre aux enfants de reconnaître et d’exprimer leur souffrance.

Le plus important est surtout d’exprimer ses sentiments et de ne pas les refouler. La colère et la haine sont des sentiments normaux, et c’est plutôt le fait de ne pas vivre ces émotions qui poussent à des comportements néfastes envers les autres.

Se pourrait-il que la répression des sentiments, l’« équilibre » calme et maître de soi que l’on s’est péniblement imposé, et dont on est si fier, ne représente en fait qu’un sinistre appauvrissement et non pas une « valeur culturelle » comme on s’est habitué jusqu’alors à le considérer ?

 

Ce que j’en pense

Je suis persuadée qu’élever des enfants selon les principes de « non-éducation » d’Alice Miller est une façon saine de construire leur personnalité et qu’il faut en effet parvenir à se détacher des principes de pédagogie qui sont profondément ancrés dans notre culture. Je pense aussi que la lecture de la dernière partie de son livre à propos de la répression des émotions serait très profitable à de nombreux adultes qui souffrent de ne pas avoir le droit d’exprimer leurs sentiments.

Laisser un commentaire